Fermer les yeux, retenir sa respiration, plonger. Et sous l’eau, déconnecter. Nous sommes aujourd’hui des milliers en France à pratiquer l’apnée pour se vider la tête, se détendre. Ne plus respirer pour se ressourcer. Une drôle d’idée ? En apparence seulement...
DRH dans un grand groupe, Sandrine, 46 ans, l’affirme haut et fort : « Dans un quotidien où je n’arrête pas de courir, l’apnée, c’est ma respiration ». Un choix de mots étonnant pour les non-initiés, mais que Laurent de Beaucaron, apnéiste et moniteur depuis une dizaine d’années, confirme d’emblée : « On parle beaucoup des records, des plongées extrêmes, mais l’apnée, c’est avant tout du bien-être. On ressort d’une séance défatigué, dénoué, déstressé… Et sous l’eau, quand on relâche le corps, on se sent flotter, en apesanteur. Sans bouteille, sans contrainte, on se sent libre. C’est de la plénitude et c’est magique ! »
Fascinante apnée
Reste que se priver d’air a tout, dans les esprits, d’une pratique contre-nature. Effrayante autant que fascinante. Il suffit d’ailleurs de s’intéresser aux records pour avoir le tournis : 6 minutes 30 d’apnée statique pour les femmes et plus de 7,30 pour les hommes aux championnats de France en 2014. Quant au record du monde, il dépasse les 11 minutes…
Des chiffres surhumains qui entretiennent l’image quasi mystique qui colle à l’apnée depuis « Le Grand Bleu ». Le film de Luc Besson, sorti en 1988, l’a rendue populaire dans le monde entier mais lui a, également, fait beaucoup de mal. « A l’époque, la pratique a explosé : des jeunes se sont jetés sous l’eau sans réglementation, sans connaissance, sans moniteur. Et il y a eu des morts », explique Laurent de Beaucaron. Les piscines ont fermé leurs portes à l’apnée, le soufflet est retombé pour laisser la place, depuis une dizaine d’années, à une pratique sûre, encadrée, et davantage orientée vers le plaisir que la performance. « En France, s’est développée une apnée « à la Mayol », décrypte Olivia Fricker, présidente de la commission nationale apnée de la FFESSM (Fédération Française d’Etudes et de Sports Sous Marins) et capitaine de l'équipe de France. Toute sa vie, Jacques Mayol a travaillé avec et pour les dauphins, il prônait l'art de la respiration, le pranayama, la discipline du souffle. Il pratiquait une méditation inspirée du yoga. Nous avons hérité de lui une pratique qui passe avant tout par un travail sur soi, où l’on tente de profiter de l’élément, de faire corps avec l’eau. »
Respiration et connaissance de soi
Ses adeptes l’assurent : l’apnée est une discipline bien-être par excellence. Mais une question demeure pour le grand public : ne fait-on pas souffrir son organisme en le privant d’air ? N’y a-t-il pas de risque pour notre santé ? « Si elle n’est pas poussée à l’excès, l’apnée nous permet au contraire de développer notre capacité respiratoire, explique Laurent de Beaucaron. Pour retenir son souffle, il faut d’abord apprendre à respirer. » Pour le moniteur, cela implique d’apprendre à s’auto-gérer, à s’auto-ressentir. « L’apnée est avant tout une discipline tournée vers soi. ».
L’objectif : savoir écouter les messages de son corps, connaître cette « zone de confort » dans laquelle l’apnée reste un plaisir, mais aussi – et surtout – ses limites, pour identifier le moment où il va falloir remonter. Car en apnée, le risque, c’est la syncope : perdre connaissance parce que l’on a voulu aller trop loin. « D’où l’importance d’être toujours accompagné et de bien se connaître, poursuit Olivia Fricker. Quand je plonge sous l’eau, je rentre dans un cycle de confort. Je fais attention à la manière dont je respire, à mon rythme cardiaque. J’écoute mon cœur et je me calme. Je profite de l’eau et je suis bien. Car oui, on peut vraiment se sentir à l'aise, serein, sous l’eau sans respirer. »
Une école du lâcher-prise
Mais pour y parvenir, une condition : savoir lâcher-prise. Ce qui est, au départ, loin d’être évident. « Si l’on part tendu, on ne pourra jamais rester sous l’eau bien longtemps, prévient Laurent de Beaucaron. L’infiltration dans l’eau ne va pas marcher, on va paniquer et très vite, on aura besoin de remonter… Et cela n’aura rien agréable. Lorsqu’on comprend comment se relâcher, on peut retenir notre respiration aisément, agréablement ».
Si l’apnée apprend à lâcher prise, c’est à chacun, individuellement, de découvrir le moyen de se relâcher complètement, presque sur commande. Certains ont recours au yoga, d’autres méditent. Béatrice Ernwein, championne de France d’apnée statique et violoniste de profession, fait appel… à la musique : « Pour parvenir à être bien « en soi », sous l’eau, il faut se vider la tête. Pour cela, je garde un univers sonore autour de moi : je choisis la musique que je vais écouter mentalement pendant l’apnée ».
Se vider la tête
Olivia Fricker, elle, recourt à des visualisations mentales. « Quand on pratique l’apnée statique, on est allongé dans la piscine, avec les bras et les jambes qui pendent, et la tête posée sur l’eau. Il faut pouvoir se relâcher totalement, puis conserver ce relâchement à mesure que le temps passe. Ce n’est pas évident car beaucoup de choses vous passent par la tête, aussi bien positives que négatives. L’important, alors, est de réussir à éliminer toutes les pensées négatives. Pour cela, je me passe un petit film dans ma tête, un scénario qui me fait du bien et dans lequel je me replonge. L’apnée apprend à être en soi-même avec des pensées positives. » Et c’est précisément cette capacité à se vider la tête en s’isolant dans une bulle, sous l’eau, qui permet à ceux qui pratiquent à l’apnée de se ressourcer profondément.
« Quand je sors d’une séance, je suis pleine d’énergie, je me sens comme neuve, renchérit Sandrine. Il faut dire que lorsque je suis sur la terre ferme, je ne sais pas m’arrêter. Je suis toujours en train de mouliner, de gamberger, de me poser des questions. C’est fatigant ! Mes séances d’apnée sont le seul moment où tout s’arrête. Parce que je suis concentrée sur moi, sur ma respiration, sur ce que je fais et ce que je ressens. »
Un outil anti-stress
Respirer, lâcher prise, être à l’écoute de soi… L’apnée s’avère ainsi une excellente pratique antistress. En tant que moniteur, Olivia Fricker voit souvent arriver des personnes sous tension : « Certains ont les épaules contractées, d’autres gardent la mâchoire ou les poings serrés, y compris sous l’eau. On leur apprend à relâcher tout le corps, de manière à ce que, petit à petit, ils le fassent naturellement quand ils arrivent dans le bassin. » Mais aussi, peut-être, quand ils se retrouvent sous pression dans la vie de tous les jours.
« Combien de gens se mettent « en apnée » dans leur quotidien quand ils sont stressés ? » renchérit Laurent de Beaucaron. Lorsque nous n’allons pas bien, nous n’utilisons que 20 à 30% de notre capacité respiratoire. Mais si, dans ces moments-là, nous maîtrisons notre respiration, nous pouvons abaisser notre rythme cardiaque, notre tension artérielle… Et donc notre niveau de stress. Une idée que confirme Béatrice Ernwein : « En tant que violoniste, je suis souvent amenée à monter sur scène et je suis très sujette au trac. Mais le fait de savoir maîtriser ma respiration me permet aujourd’hui de gérer ce stress de manière beaucoup plus positive. »
Prendre confiance en soi
Si beaucoup de nouveaux adeptes viennent à l’apnée pour son effet déstressant, c’est le bien-être qu’ils en retirent et leur progression individuelle qui, bien souvent, leur donnent envie de persévérer. Car de quelques secondes à plusieurs minutes sans respirer, de quelques mètres parcourus sous l’eau à plusieurs longueurs de bassin, les progrès constatés participent du plaisir de plonger. Et s’avèrent un excellent booster de confiance en soi.
« On découvre petit à petit que l’on peut plonger à 15 mètres de profondeur, puis 20, puis 25… On passe les niveaux, aussi. Mais ces étapes que l’on franchit, en apnée, ce sont autant de verrous que l’on a dans sa tête et que l’on fait sauter. Cette discipline nous fait franchir en douceur – et toujours dans la maîtrise - ce qu’on pense être nos propres limites (…). C’est un super moteur. »
Apprendre à ralentir
S'il est tout à fait possible de progresser rapidement, il est en revanche hors de question de brûler les étapes. « Si le corps n’est pas prêt à aller plus loin, il ne tiendra pas, met en garde le moniteur. Il lui faut du temps pour s’adapter, pour que ses capacités évoluent. Certains jours, la séance sera difficile, on ne tiendra pas aussi longtemps que d’habitude. Et il faut apprendre à l’accepter. » Une leçon de patience dans un monde où l’on nous demande sans cesse d’accélérer. « C’est un travers de notre société : on est impatients, on veut toujours aller plus vite. Trop vite. L’apnée, au contraire, nous oblige à ralentir. »
La découverte d'un autre monde
D’autant que sous l’eau, le temps est transformé. Tout comme les sons que l’on perçoit ou encore nos sensations… « Retrouver l’eau nous ramène à nos origines, au ventre de notre mère (…), résume Béatrice Ernwein. Sous l’eau, on est vraiment dans un autre monde ! »
Un retour aux sources ressenti d’autant plus facilement que, contrairement au plongeur avec bouteilles, l’apnéiste a seulement besoin d’un kit palmes-masque-tuba. A la clé : un incroyable sentiment de liberté une fois en mer. Malgré des années de pratique, Olivia Fricker s’en étonne toujours : « Quand on plonge en milieu naturel, le fait de rentrer dans l’eau avec douceur, de palmer tout en étant décontracté, nous permet de découvrir la faune et la flore de manière totalement différente. Il est beaucoup plus facile, par exemple, d’approcher les poissons. Comme si l’on faisait corps avec la mer et que le monde sous-marin nous accueillait, véritablement. »
Source : Elyane Vignau - psychologies.com